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La situation humanitaire est catastrophique

Par  Magali Lagrange                                                                                                                                                                Diffusion : samedi 12 mai 2018

Les Américains perdent patience face à la situation au Soudan du Sud. La Maison Blanche a publié, cette semaine, un communiqué affirmant que les Etats-Unis allaient revoir tous leurs programmes d’assistance à Juba. Le Soudan du Sud, indépendant depuis 2011, est plongé dans la guerre civile depuis 2013. Le conflit a fait des dizaines de milliers de morts, des millions de déplacés et les cessez-le-feu successifs ont tous volé en éclats. L’accord de paix, signé en 2015, est toujours bloqué. Marc Lavergne, directeur de recherche au CNRS, spécialiste de la Corne de l’Afrique, répond aux questions de Magali Lagrange.

RFI: Quel est actuellement le poids des programmes américains d’assistance au Soudan du Sud ?

Marc Lavergne: Il est assez important dans la mesure où, pour les Etats-Unis, le Sud-Soudan est le troisième bénéficiaire de l’aide américaine, derrière l’Afghanistan et l’Irak. En tout cas, il l’a été pendant longtemps. C’est à la fois une aide directe et une aide également à travers des organisations humanitaires et les services de l’ONU.

Donc, si les Etats-Unis lâchent le Soudan du Sud, c’est une catastrophe ?

Au point où en est le Soudan du Sud, cela ne l’est peut-être pas. Les Etats-Unis prétendent, à juste titre, que cette aide est en grande partie détournée. Elle alimente la corruption qui soutient le régime.

Je crois que la population du Sud-Soudan en bénéficie très peu, si ce n’est à travers l’action des organisations humanitaires américaines mais, là encore, il n’y a pas que des organisations américaines qui sont sur le terrain. Il y a, en effet, un déploiement international d’aide dont on peut d’ailleurs se demander s’il n’entretient pas la guerre mais cela, c’est un peu le problème de l’intervention humanitaire dans beaucoup de ces conflits qui sert à nourrir et à justifier la guerre.

Il y a d’autres objectifs évidemment à cette guerre qui est une guerre pour l’accès aux ressources qui sont autres. Il y a le pétrole, le pouvoir et toute sorte de trafics.

Ces pourparlers de paix qui vont reprendre normalement, jeudi prochain, ont été repoussés par l’Igad [Autorité intergouvernementale pour le développement] à deux reprises, en un mois. Qu’est-ce qui bloque ?

Ce qui bloque, d’une part, c’est sans doute la difficulté, du côté de l’Igad, à assurer cette gestion des pourparlers. C’est le fait que les rebelles ne sont pas tous autour de la table. Il y a le SPLM In Opposition qui vient de rejoindre le gouvernement, en échange de quelques portefeuilles et d’une sorte de fusion de ce groupe. Ceci dit, il y a toujours des mouvements qui sont à la fois sur le terrain et qui s’opposent par les armes. Il y a aussi des opposants politiques qui sont toujours en prison ou qui sont en exil et qui ne sont toujours pas autour de la table. Par conséquent, ce n’est pas un gouvernement inclusif, comme le demandent les Etats-Unis et la communauté internationale.

Est-ce que le retour de Riek Machar au Soudan du Sud pourrait changer la vision, le point de vue des Etats-Unis ?

Je suppose que oui. Bien sûr, les Etats-Unis soutiennent Riek Machar et les Occidentaux, d’une manière générale, pensent aussi que Riek Machar fera un président beaucoup plus présentable, beaucoup plus professionnel et sérieux que Salva Kiir. Mais, comment faire pour qu’il revienne ? C’est toujours la question. Là, les Etats-Unis essaient de tordre le bras à Salva Kiir, pour des raisons qui ne sont pas liées uniquement au Sud-Soudan. Je pense que les Etats-Unis cherchent une victoire diplomatique quelque part et cherchent aussi à affaiblir la Chine qui est très présente dans cette région du monde. Donc, cela rentre dans une perspective de conflit global. Aussi, tordre le bras à Salva Kiir, c’est visiblement difficile dans la mesure où cette armée du SPLA [Armée populaire de libération du Soudan], sont des gens qui sont aguerris, qui connaissent le terrain et qui maîtrisent - si l’on peut dire - une sorte de dissuasion du faible au fort, à savoir que les Etats-Unis n’ont pas de prise sur un pouvoir de ce type.

Vous parliez de tordre le bras. Les Etats-Unis en effet ont haussé le ton ces derniers mois. Ils ont instauré un embargo sur les armes, en février dernier. Ils ont sanctionné des compagnies pétrolières, en mars et là, ils annoncent une révision de leur programme d’assistance. Cela n’a pas permis, pour l’instant, de débloquer le dialogue. Est-ce que d’autres soutiens, après ceux des Etats-Unis, pourraient lâcher le Soudan du Sud à leur tour ?

Je ne crois pas qu’il y ait des soutiens extérieurs qui comptent vraiment. Encore une fois, il y a la Chine qui est intéressée dans l’exploitation du pétrole mais qui, elle, prétend ne pas se mêler de politique. Il y a aussi l’Inde qui exploite des puits de pétrole, mais qui elle non plus n’a pas de vision politique pour cette région du monde. Je ne vois pas les Occidentaux, aujourd’hui, qui sont impuissants sur beaucoup d’autres sujets beaucoup plus importants, être capables de se mobiliser. Le gouvernement de Salva Kiir peut s'appuyer sur la Chine et sur la Russie comme il l’a fait au Conseil de sécurité qui s’oppose à un embargo global sur les armes.

Dans leur communiqué, les Etats-Unis évoquent, pour justifier leur révision de l’aide, notamment l’une des pires catastrophes humanitaires que l’Afrique ait connue. Quelle est la situation humanitaire actuellement sur place ?

Elle est effectivement catastrophique puisque ce n’est pas l’aide étrangère qui peut globalement changer quelque chose à la situation de ces 4 ou 5 millions de personnes qui ont été obligées de quitter leur domicile, de tous ces blessés et de ces poches de famine. L’aide humanitaire, c’est un témoignage un peu symbolique mais cela ne résout évidemment pas le problème.

Les Etats-Unis, c’est un peu l’hôpital qui se moque de la charité parce que ce sont eux qui ont voulu l’indépendance du Sud-Soudan, sans aucune préparation, sans aucune structure étatique, sans aucune infrastructure, sans aucun service public et, dès que l’encre de la signature de l’indépendance a été sèche, ils sont repartis.

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